- histoire de la bande dessinée chinoise, les origines -
Les peintures de Mawangdui et les fresques de Dunhuang
Les premiers précurseurs des lianhuanhua remontent au moins au début de la dynastie des Han de l’ouest (206 av. J.C. - 24 ap. J.C.). Le sarcophage de Mawangdui (马王堆) découvert en 1972 près de Changsha (Hunan) a révélé, sur deux des six coffres encastrés les uns dans les autres qu’il contenait, des peintures aux couleurs éclatantes sur fond de laque noire ou rouge vif. Certaines d'entre elles représentent des histoires telles que Tubo mange le serpent (土伯吃蛇). Ce récit met en scène un oiseau aquatique, qui voyant un serpent au sol, l’attrape dans son bec et s’en va le déposer dans la gueule grande ouverte d’un animal mythique qui se tient debout, à la manière d’un homme. Celui-ci est une divinité dont le rôle était de protéger les défunts contre les attaques des animaux nuisibles pour permettre à leurs âmes de gagner le monde de l’au-delà.

Les fresques des grottes de Dunhuang (Gansu), vestiges de la dynastie des Wei du Nord (386 - 535), se caractérisent également par un enchaînement narratif. Le Jakata du cerf aux neuf couleurs (九色鹿本生) raconte comment la reine ayant souhaité se parer de la peau d'un cerf aux sept couleurs qu'elle avait vu en rêve, un homme se propose de conduire le roi jusqu'au territoire de l'animal. La scène représentée sur l’image ci-dessous illustre l'épisode où le cerf se dresse devant le roi et lui raconte comment jadis il avait sauvé de la noyade l'homme qui aujourd'hui le livre. Le bouddhisme connaît à cette époque un grand essor en Chine et pour mieux s’imposer, il fait appel à l’image. Cela explique donc l’éclosion d’une iconographie riche et abondante, objet de culte mais aussi d’enseignement, s’inspirant souvent des divers épisodes de la vie de Bouddha. Outre les progrès de la continuité narrative, l’usage de la couleur ou encore la surface plane des images sont autant d’éléments qui nous permettent déjà d’entrevoir l’ombre des bandes dessinées modernes.

Les peintures de Gu Kaizhi
En effet, les peintures de cette époque comportent déjà certaines spécificités de la bande dessinée. Ainsi, la répétition de personnages dans des scènes juxtaposées au caractère narratif est typique des rouleaux horizontaux de Gu Kaizhi. On retrouve ces caractéristiques dans des œuvres de cet illustre peintre du royaume des Jin tels La nymphe de la rivière Luo (洛神賦) et Admonitions aux femmes du gynécée impérial (女史箴). Le premier est l’interprétation illustrée d’une rhapsodie de Cao Zhi (曹植, 192 - 232) et reprend un thème littéraire cher à l’ère Han, celui de la rencontre avec une divinité féminine fluviale. Dans sa peinture figurative, Gu Kaizi articule sa composition autour d’éléments paysagers et la narrativité d’une histoire était traduite par une succession de scènes distinctes. Ces rouleaux, d’une longueur de plus de cinq mètres sur une hauteur d’à peine trente centimètres, se lisent de droite à gauche et sont déroulés comme un film devant l’observateur. La main gauche déroule à mesure que la main droite enroule. Le regard des personnages guide le lecteur à travers la peinture, l’orientant vers les éléments de transition entre les différents plans tels que les oiseaux, qui semblent voler d’une scène à l’autre, mais l’ensemble de la scène est aussi structuré par d’autres éléments, comme des montagnes abruptes et des forêts denses.

Le rouleau des Admonitions, quant à lui, éclaire pour sa part un texte didactique : il se présente sous la forme d’une série de commentaires explicatifs rédigés par Zhuang Hua (张华, 232 - 300), illustrés chacun par une scène figurative. Les textes, qui décrivent la conduite à tenir pour des dames du gynécée impérial, contribuent ici à structurer les scènes successives par un effet d’optique.


Plus tard, les images du Nouvel An (年画) représentent aussi une forme de littérature graphique qui pourrait s’assimiler aux lianhuanhua. Très nombreuses sous les Qing (1644 - 1911), ces estampes en couleurs ont une fonction religieuse et décorative. Dès le XVIIIe siècle, certaines de ces images présentent les caractéristiques de véritables bandes dessinées : enchaînement de tableaux, variation de leur format elle-même créatrice d’un certain rythme, concision des textes d’accompagnement librement inscrits à l’intérieur des vignettes et ballons s’échappant parfois de la bouche des personnages pour noter leurs paroles ou leurs idées. Ce n'est toutefois qu'à la fin de la dynastie des Qing que vont naître les lianhuanhua, ces petits livres au petit format ne contenant qu'une seule image par page avec, sous celle-ci, un texte narratif et dans laquelle figure parfois des phylactères.