- histoire de la bande dessinée chinoise, la BD selon le maoïsme (1) -

Publié le par nico-wong

Les bandes dessinées au service de la Révolution

À la veille de la fondation de la République populaire de Chine, la Conférence politique consultative populaire adopte en septembre 1949 un programme commun qui définit l’action et l’organisation du nouveau gouvernement. Le chapitre V de ce document, consacré à la politique culturelle et éducative, préconise de promouvoir l’art et la littérature pour qu’ils soient au service du peuple, qu’ils éveillent la conscience politique de chacun et stimulent l’enthousiasme au travail. Il indique plus loin que les intellectuels, jeunes et vieux, recevront une éducation politique révolutionnaire et qu’il importe de prêter attention à la publication de livres et de journaux qui soient à la portée de tous et bénéfiques au peuple. Le lianhuanhua répond bien aux objectifs ainsi définis et, à la libération, la production de bandes dessinées en tant que moyen de communication est donc encouragée. Dans les années 50, le pouvoir accorde aux Éditions des Beaux-arts du peuple de Pékin et de Shanghai le soin de diffuser les lianhuanhua, et en 1951, est créée la revue Journal des bandes dessinées (连环画报). Les municipalités accordent une aide financière aux bouquinistes qui sont prêts à acquérir de nouvelles bandes dessinées, et mettent en place des salles de lecture de quartier (les wenhuazhan,
文化站) qui donnent priorité à ce type de lecture.

Journal des bandes dessinéesCouverture du 1e numéro du Journal des bandes dessinées


Bien que les mythes, contes populaires et autres classiques de la littérature chinoise restent une source d’inspiration pour les artistes, la plupart des publications de cette époque abordent des thèmes politiques. Elles sont, dans tous les cas, au service de la révolution. À ce titre, ils se font les propagandistes zélés des grandes campagnes politiques en cours. Ils exaltent le patriotisme, l’accomplissement des tâches de production, et participent à l’effort de vulgarisation des connaissances scientifiques et techniques. Dans cette période, de nombreuses bandes dessinées content les exploits des héros de guerres anti-japonaises et de libération, on y décrit les bienfaits de la réforme agraire ou encore de la nouvelle loi sur le mariage. Dans les adaptations de grandes œuvres du patrimoine littéraire comme les Trois Royaumes ou Au Bord de l’eau, ce sont les aspects éducatifs, patriotisme, tactique et stratégie militaire qui sont privilégiés. Dans les campagnes, des BD spécialement préparées par les éditions régionales sont distribuées pour lutter contre l’analphabétisme et faire connaître certaines données d’hygiène élémentaires.

Peau peintePour les autorités culturelles, il faut que l’engagement de ces nouvelles bandes dessinées au service du politique s’accompagne d’une bonne technique d’exécution. Le premier critère est celui du réalisme, il implique alors des recherches approfondies qui sont menées sur le terrain chaque fois que le sujet s’y prête. Dès 1950, auteurs et illustrateurs de lianhuanhua effectuent des séjours d'études dans les régions et parmi les groupes sociaux qui sont évoqués dans leurs œuvres. Ensuite, les exigences se portent au niveau de la technique de l’illustration, la concision du texte d’accompagnement que les masses doivent pouvoir comprendre facilement et la continuité narrative du récit. Les résultats sont variables et, à coté de bon nombre de réalisations grossières et peu intéressantes dans les premières années, certaines bandes dessinées sont d’incontestables réussites. Dans Peau peinte (画皮 - voir images à droite) d’après un des Contes extraordinaires du pavillon du loisir, Cheng Shifa (程十发) montre avec un art consommé comment les techniques de la peinture traditionnelle au lavis peuvent s’appliquer à l’illustration des lianhuanhua. La perfection des dessins réalisés dans le style baimiao, à l’encre avec des contours très fins comme c’est le cas dans Les Guerilleros du rail (铁道游击队) de Ding Binzeng (丁斌曾), contribue à faire de cette technique le mode d’expression graphique de base dans la bande dessinée d’alors.


Les Guerilleros du railLes Guerilleros du rail

Le Singe corrige trois fois le démon aux os blancsParmi les artistes, des anciens comme Zhao Hongben et Zhang Leping restent très actifs. Le premier collabore au Singe corrige trois fois le démon aux os blancs (
孙悟空三打白骨精 - voir image à gauche). Les déplacements glissés du singe dans les airs, le décor traditionnel, l’adéquation du texte à l’image, font de ce récit un chef d’œuvre du genre. Sanmao, le héros de Zhang Leping, change de personnalité avec l’entrée des troupes communistes dans Shanghai en mai 1949 et se fait le chantre de la nouvelle société. Certains illustrateurs ont une formation de peintres traditionnels et découvrent, après la libération, les possibilités qu’offrent les bandes dessinées. C’est le cas de Cheng Shifa, mais aussi de Liu Jiyou (刘继卣), qui apporte un nouveau souffle à la bande dessinée chinoise à travers ses adaptations de Wusong bat le tigre (武松打虎) et Le roi-singe sème le trouble au palais céleste (大闹天宫). D’autres, comme Ding Binzeng et Ben Qingyu (贲庆余), auteur de Je veux aller à l’école (我要读书), sont de jeunes diplômés des instituts d’art fondés dans les zones libérées ou peu après 1949. Quelques-uns, parmi lesquels He Youzhi (贺友直), se sont formés eux-mêmes. Celui-ci publie, au début des années 60, Grands changements dans un village en montagne (山乡巨变) où sont exposés les mutations que connaissent les différentes régions de la Chine après leur libération.

Je veux aller à l'école et Grands changements dans un village de campagneJe veux aller à l'école (gauche) et Grands changements (droite)
 
Soutenues par le pouvoir, appréciées du public, la production de bandes dessinées augmente rapidement pendant les années qui suivent l’installation du nouveau régime. Elle atteint 21 millions de fascicules en 1952 et dépasse largement les 100 millions en 1957. Les bouquinistes restent, jusqu’en 1955, les lieux de vente et de location favoris des lecteurs. Ce sont encore des petites entreprises privées, individuelles ou familiales, qui offrent des titres assez variés et qui ne traduisent pas toujours les volontés officielles. Avec le mouvement d’étatisation du secteur commercial, ils disparaissent peu à peu pour laisser place aux salles de lecture (wenhuashi, 文化室) gérées par les comités de quartier et se conformant, par définition à la politique culturelle mise en place par le pouvoir. Les sources chinoises évaluent le nombre de bandes dessinées publiées de 1949 à 1964 à 730 millions de fascicules pour 1400 titres, ce qui représente une moyenne d’un exemplaire possédé par personne et un impact énorme sur la population. Il existe parmi ces œuvres des séries remarquables tant sur le plan du graphisme que sur celui du texte d’accompagnement et de la technique narrative. En décernant dix premiers prix, six pour l’illustration et quatre pour les scénarios, le premier grand prix national présidé par Ye Qianyu en 1963 a eu le mérite de choisir en fonction de critères qualitatifs et non pas seulement idéologiques. Néanmois, la Révolution culturelle qui éclate en 1966 va stopper net cette effervescence créative, avant de radicaliser l'orientation politique du contenu des bandes dessinées.
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